Peu étudiée dans ses effets, dans ses formes actuelles et dans ses évolutions, la philanthropie française souffre aujourd’hui d’un déficit de compréhension. Faiblement perçue dans sa spécificité, dans sa diversité et dans sa contribution sociétale, elle est souvent assimilée aux figures les plus visibles de la philanthropie américaine ou réduite à des cas aussi spectaculaires que discutables d’optimisation fiscale.

On ne peut pour autant éluder la question de savoir si ce n’est pas une forme de privatisation de l’intérêt général que de voir les fondations s’investir aux côtés des associations pour répondre à des problématiques de société tandis que l’État réduit sans cesse le périmètre de son intervention directe au profit de la seule voie fiscale. Mais à partir de cette double interrogation, c’est la grande méconnaissance réciproque entre secteur associatif et secteur de la générosité́ privée qui a décidé́ l’Institut français du monde associatif (IFMA) à y consacrer un axe de recherche.

La diversité de statuts, de pratiques, de modes opératoires, de causes poursuivies, mais aussi de philosophies et cultures d’intervention accentue la méconnaissance du champ de la générosité́ privée, notamment par par le monde associatif, qui en est pourtant une des principales parties prenantes.

Loin d’être neutre, le champ de la générosité́ privée est traversé de différentes philosophies d’intervention, à l’instar du monde de l’économie sociale et solidaire (ESS) partagé entre entrepreneuriat social et dynamiques associatives inspirées par l’éducation populaire. Philanthropes et fondateurs se situent entre bienveillance et exigence, dans la construction de compromis entre investissements et prise de risque, politique de responsabilité́ sociétale des entreprises (RSE) et création de valeur sociétale, entre soutien d’urgence et de moyen terme, entre soutien direct à l’action et plaidoyer au bénéfice de poplations, sur des causes également investies par le monde associatif. Le premier enjeu de notre démarche est donc le développement de connaissances sur les politiques, intentions et questionnements qui traversent le champ de la générosité privée mise au service de l’intérêt général.

Un deuxième enjeu réside dans une meilleure appréhension des modes d’action de la philanthropie, au regard des différents modèles socio-économiques associatifs, mais aussi au titre des stratégies d’intervention ou encore des plaidoyers associatifs. 20 ans après le mirage vite dissipé de la venture philanthropy*, qui prétendait faire entrer les acteurs de l’intérêt général dans l’ère de la performance grâce au savoir-faire entrepreneurial, on commence à voir les acteurs de la RSE, des fonds, et fondations s’intéresser de près à la sobriété́ et à la résilience du  » savoir-faire-ensemble  » des acteurs associatifs.

Le troisième et en réalité́ le principal enjeu de notre démarche est donc de créer, à partir de l’enquête rigoureuse et la production de connaissances, les conditions d’un travail d’élaboration commun entre donateurs, certes généreux mais parfois perplexes, et ceux qu’il est convenu d’appeler les  » porteurs de projet  » et qui sont le plus souvent les fantassins de première ligne de l’intérêt général.

Face à l’ampleur des défis et des crises que nous avons devant nous et devant l’usure des répertoires habituels de l’engagement, cette œuvre d’intelligence collective est un prérequis indispensable à l’action.

YANNICK BLANC
PRÉSIDENT DE L’INSTITUT FRANÇAIS DU MONDE ASSOCIATIF

* En français, «philanthropie d’entreprise».